Le corps expéditionnaire français, commandé par le maréchal de Bourmont, comptait 37000 hommes dont 31000 fantassins. Ils embarquèrent à Toulon sur 675 bâtiments avec des provisions pour quatre mois. Le 14 juin 1830, les opérations de débarquement commencèrent à Sidi Fredj qui se trouve à quelques encablures de Bou-Ismaïl.
Après des combats acharnés et de lourdes pertes subies, le gouvernement Algérien dirigé par le Dey d’Alger capitula le 5 Juillet 1830. Après la prise d'Alger par l'Armée, l'administration française d’occupation commença à réfléchir aux moyens permettant de renforcer sa présence et de lui donner une assise. C'est ainsi que les Français furent amenés, à l’époque du général Berthezène (nommé gouverneur le 20/07/1831) à adopter la politique de l’apaisement. Il désigna el Hadj Mohieddine ben Séghir, fils de Sidi Ali Lembarek, cheikh de la zaouia de Koléa à la fonction d’agha des Arabes compte tenu de l’autorité et de l'influence dont celui-ci jouissait auprès des habitants de la Mitidja et afin qu’il soit l’intermédiaire entre ceux-ci et le gouverneur français.El Hadj Mahieddine accepta la mission d’assurer la sécurité autour de Koléa, du petit hameau de Bou-Ismail et dans le bout de Mitidja situé à proximité. Mais il posa une condition : que les Français ne sortent pas de la banlieue d’Alger.
Cependant, cette politique ne fit pas long feu. Avec l’arrivée du Duc de Rovigo au mois de décembre 1831, l’usage de la force reprit dans l’intention d’écraser la résistance par tous les moyens, y compris le génocide et l’assassinat des chefs de tribus de la région comme ce fut le cas pour le chef des béni Khalil, Cheikh Larbi Benmoussa ainsi que celui du territoire du Sebt, Cheikh Abdelwadi. Ceux-ci furent attirés, avec une délégation des habitants de la Mitidja dirigée par Cheikh Mohieddine, agha des arabes, sous prétexte de négociations mais en fait, il fut ordonné de les décapite. Sans oublier le massacre perpétré contre la tribu al aoufia contre laquelle une incursion fut lancée de nuit sous prétexte qu’elle aurait agressé la délégation de Ferhat Bensaïd au cours de la nuit du 07 avril 1832. Même si par la suite les français ont reconnu que cette tribu était innocente de l’accusation lancée contre elle, la barbarie de tels actes laissera son empreinte dans l’histoire du colonialisme français et constituera l’un des crimes de la France coloniale. L'expédition de Koléa s’attaquait aux populations isolées, leur imposait une amende et prenait en otage des membres de la famille de Cheikh Mohieddine Ben Mebarek.
Rovigo, en 1832, se persuada qu’El Hadj Mahieddine suscitait les musulmans à s’insurger alors il fit arrêter des membres de sa famille et imposa une lourde indemnité à la ville de Koléa que les troupes du corps expéditionnaire n’avaient pas encore occupé. En 1833 Voirol, nouveau Gouverneur Général à l’époque, remplaçant du général Berthezène, fit libérer les membres de la famille d’El Hadj Mahieddine et les fit reconduire à Koléa sous escorte militaire; il restitua même une bonne partie de l’amende. El Hadj Mahieddine et sa famille se sont alliées à l’Emir Abdel Kader qu’il l’a nommé à Miliana au poste de Khalifa pour le Zaccar et le haut Cheliff. En mars 1838 le Colonel Lamoriciere ordonna l’assaut de la ville de Koléa. L’un des fils d’El Hadj Mahieddine, Ben Aissa combattit dans les troupes de l’Emir Abdelkader et connut une mort glorieuse en Oranie prés de Saida en 1943. Son corps fut ramené à Koléa pour y être enterré à coté de son arrière grand-père Sidi Ali M’Barek.
Ainsi la domination total du peuple Algérien ne pouvait être réalisé qu'à travers la main mise militaire et civile, organisée sur une vaste échelle en vue de créer une base territoriale et administrative.
Cette administration encourageait l'immigration massive de colons pour asseoir la base démographique visant à appuyer la force militaire et faciliter ainsi le processus de déstructuration sociale, économique et culturelle de la société algérienne. C'est ainsi que dès les premières années de l'occupation, l'Administration avait entamé une politique sauvage et étendue d'implantation de colonies pour laquelle elle mobilisa tous les moyens matériels, humains, militaires et civils. Dans cette optique, les dirigeants français se mirent à rivaliser d'ardeur pour servir la politique de colonisation sans laquelle ils ne pouvaient pas se stabiliser en Algérie.
Le Général Lamoricière résume la position des militaires par rapport à la colonisation en disant : " En vue d'atteindre cet objectif, il est nécessaire de faire appel aux colons européens et ce parce que nous ne pouvons en aucun cas faire totalement confiance aux indigènes. Ces derniers profiteront de la première occasion pour se soulever contre nous. La soumission des Arabes à notre autorité ne constitue qu'une phase transitoire nécessaire entre la guerre d'occupation et la véritable conquête. La seule chose qui nous permette d’espérer pouvoir un jour affermir nos pas en Algérie, c'est de peupler ce pays par des colons chrétiens s'adonnant à l"agriculture… Pour cela, nous nous devons de tout mettre en œuvre pour attirer le plus grand nombre de colons immédiatement en Algérie et les encourager à s'y établir en leur attribuant des terres dès leur arrivée "
C’est dans cette optique que l’histoire coloniale de Bou-Ismaïl commença. Les premiers colons venus de la métropole pour s’implanter à Castiglione qui déjà portait le nom hyponyme de la source (Bou-Ismaïl) sur les terres fertiles confisquées ou expropriées aux tribus autochtones musulmanes, faisaient parti du 4 convoi de colonisateurs volontaires de 843 personnes pour peupler une partie Ouest du littoral et de la Mitidja. Ce convoi à destination d'El Affroun, Bou-Ismaïl (Castiglione), Tefeschoun (Khemisti Ville), est parti le 22 octobre 1848 de Paris et était sous la responsabilité de trois chefs militaires du corps expéditionnaire du régiment des Spahis. Après un voyage en mer de plusieurs jours, ils débarquèrent à Alger où ils furent accueillis par leurs compatriotes civiles et militaires du corps expéditionnaires installés depuis la conquête en 1830 sur les terres confisquées. Partis d'Alger, ils arrivèrent à Bou-Ismaïl (Castiglione) après un voyage à pieds de deux jours.
En arrivant à Bou-Ismaïl, chaque colon a reçue une concession de 12 hectares de terres spoliées, à défricher et à cultiver. Ils exploitèrent les fellahs indigènes dépossédés de leurs propres terres et dépourvu de toute ressources de subsistance.
Les familles des colons, nouveaux propriétaires et exploitants des terres ancestrales des tribus locales, furent logées dans des baraques construites par le génie militaire qui fut un corps effectif de spoliation des terres des populations locales. Par conséquent, les familles musulmanes dépossédées de leurs terres les plus fertiles qui longent le littoral se sont réfugiées au sud du village sur les hauteurs du plateau: l’actuel Abattoir ou repose le patron Saint de la ville « Sidi Ali » pour fuir l’oppression et l’exploitation esclavagiste des conquérants venu d’outre mer. Ce nouveau peuplement de colons Européens implanté à Bou-Ismaïl dépendait directement de l'autorité militaire et recevait le ravitaillement, la logistique et la protection de la place de Koléa.
Ce peuplement colonial éclaireur était un champ d’expérimentation pour l’expansion de la colonisation et la spoliation des terres fertiles sur tout le territoire conquis d’Algérie. De même c’était un modèle pour les colons qui ne tardaient pas à arriver par milliers de toute l’Europe chrétienne, non seulement de France mais aussi d’Italie, de Malte, de Suisse et plus tard d’Espagne et même des pays de l’Europe Centrale et de l’Est.
Par la suite, l’administration coloniale avait attribué au nouveau centre de population Européenne à Bou-Ismail un territoire dont l'étendue commune est de plusieurs hectares. Ce territoire était soigneusement divisé en lots qui permettaient à chaque concessionnaire d'avoir à la fois des terres propres au jardinage, au labourage, des prairies et des broussailles. L'emplacement du village était partagé en lots à bâtir disposés de manière à recevoir une maison, des étables, une basse-cour et un petit jardin. Les emplacements à bâtir étaient ordinairement de 4 à 5 ares chacun, quelques fois plus, suivant l'importance des constructions que le colon se proposait de faire élever pour abriter sa famille, ses bestiaux et ses récoltes. Les lots de terres cultivables étaient communément de 4 à 10 hectares et étaient portés à 72 hectares, suivant la nature du sol, sa fertilité, les arbres et autres plantations existantes, suivant aussi, les ressources du colon, sa profession habituelle, militaire ou civil, le nombre d'individus dont sa famille se composait, suivant même son propre désir. Ainsi, les colons qui justifiaient de moyens d'action considérables ont reçu des concessions d’une plus grande étendues, comme les plus grands exploitant agricoles, Le Moine, Vasseur, Drimini …..
Lorsqu'il était reconnu que les colons n'ont pas de ressources pécuniaires suffisantes pour bâtir leurs demeures, l'administration coloniale leur a facilité le moyen par des secours en matériaux dont la valeur pouvait s’élever, suivant les circonstances et en considération du zèle et de l'aptitude du colon, jusqu'à 600 francs; mais ce secours n'était, le plus ordinairement, que de la valeur de 3 à 400 francs.
Pour les nouveaux concessionnaires, la vie fut régimentée mais confortable par comparaison aux conditions de vie précaires des indigènes. Ils avaient une main-d’oeuvre abondantes et soumises pour accomplir les travaux domestiques et agricoles ardus et pénibles. Dans le but d'aider à la mise en culture des terres, il était prêté temporairement aux colons des bêtes de labour; il leur était donné des instruments aratoires et des semences, quelques fois à titre gratuit, d'autres fois sous condition de remboursement, selon les circonstances. Ils participaient aussi à des distributions de graines, de boutures d’arbres fruitiers et autres que fournissaient les pépinières du Gouvernement colonial. Par la sueur et le labeur de ses habitants indigènes, Bou-Ismaïl (Castiglione) était devenu un petit village où se dessinaient des parcelles de terrain qui produisaient du vin, des primeurs et des légumes pour alimenter l’Armée d’occupation et le nombre croissant de colons, et même pour expédier le surplus en France.
En 1854, vingt quatre ans après la conquête et six ans après l’arrivée des premiers colons à Bou-Ismaïl, le village fut érigé en commune de plein exercice et baptisé Castiglione en reconnaissance aux nombreux colons d’origine Italienne qui se sont implantés dans la périphérie: son premier maire s'appelait Pierre Schlisler. Ainsi, Castiglione comprenait lors de sa création 3 760 musulmans indigènes et 40 familles Européennes hétéroclites. La plupart de la population indigène venait des montagnes de l’Ouest qui s’étendent de Cherchell jusqu’ à Gouraya pour travailler comme saisonniers dans l’agriculture ou domestiques chez les colons qui vivaient dans l’abondance et l’opulence.
Le village commençait à se configurer sur un modèle ségrégationniste ; deux peuples deux mondes dans un même espace. Castiglione était séparée en deux secteurs, le nord et le sud ; Européens et musulmans. La ségrégation était institutionnalisée dés le début de l’implantation des premiers colons sur la bande du littoral. Le secteur sud de Bou-Ismaïl était constitué de deux groupements semblables aux fameux ghettos Sud Africains établis par le régime ségrégationniste de l’Apartheid. Ironiquement, l’administration coloniale du conseil municipal de la nouvelle mairie de Castiglione a baptisé les deux ghettos de Bou-Ismaïl, « Communal Est » et « Communal Ouest ». Les deux zones du village, divisées ethniquement, étaient délimités par une ligne de démarcation qui démarrait du « Communal Est » longeant la rue Victor Hugo, l’actuelle rue Hadjout Mohamed, passant par la caserne de la Gendarmerie pour joindre le « Communal Ouest » en se prolongeant le long du quartier « Abattoir » jusqu’au cimetière musulman qui était à la limite territoriale de la ville.
Le secteur Sud, le plus peuplé, constitué des deux ghettos, « Communal Est » et « Communal Ouest », était un ensemble de taudis et de maisons construites de matériaux de fortune sans aucune considération urbanistique. Les utilités élémentaires comme l’alimentation en eau potable, en électricité et égouts; essentielles pour une vie décente n’existaient pas pour la population indigène. Alors que la population Européenne du secteur Nord jouissait de tout le confort nécessaire. Depuis la conquête jusqu'à l’indépendance en 1962, seulement quelques familles indigènes assimilées ont pu s'établir dans le secteur Européen de la ville. Ces familles ont quitté temporairement le secteur Européen durant la guerre de libération surtout durant les années 1960-62 lorsque l’organisation terroriste OAS sévissait à Bou-Ismail.
Deux mille maisons d'habitations modernes furent construites dans le secteur Nord pour attirer d’avantage les Européens de la métropole, volontaires à peupler Castiglione et ses environs. Cette nouvelle vague d’immigration Européenne était constituée principalement de dignitaires Français destinés à intégrer l’administration embryonnaire ou occuper les fonctions libérales nécessaires pour consolider et maintenir une occupation coloniale permanente et durable.
L’événement majeur à Bou-Ismail, entre 1900 et 1910 est la construction et la mise en service de la voie ferrée de la «Société des chemins de fer sur routes d’Algérie» (CFRA), société qui exploitait les tramways algérois. Cette ligne partira de la capitale et desservira les localités du littoral en suivant le tracé de la route nationale 11 jusqu'à Castiglione (Bou-Ismail).
Dans le secteur Nord, ville Européenne, une église nommée Saint Félix de Valois, une mairie, des écoles réservées uniquement aux habitants de souche Européenne, un marché couvert, une salle de fêtes, une école d'apiculture, un grand boulevard front de Mer ont été édifiés pour le bien-être de ces populations. La politique ségrégationniste et raciste de l’administration de la municipalité de Castiglione faisait que l’accès à la plage du boulevard front de mer était interdit aux indigènes. Deux plaques d’interdiction étaient érigées aux deux extrémités du boulevard pour annoncer « Accès à la plage est interdit aux chiens et aux arabes ». Les indigènes ne pouvaient se baigner que dans la partie Est ou Ouest de la plage principale qui était réservée exclusivement aux baigneurs Européens. A l’Est, lieu connu « la Paillote » était une zone rocailleuse et à l’Ouest, « Sidi Boumaaza », une zone fortement polluée par le déversement des égouts de la ville.
Les riches colons de la région ont bâti des villas somptueuses dans la zone balnéaire, particulièrement la rue Courbet. Ces colons, exploitants des grandes fermes de la vallée de la Mitidja qui s’étend de Boufarik à Hadjout (Marengo), arrivaient de Blida, Boufarik, Affroun, Mouzaia pour passer la saison estivale à Castiglione dans leurs résidences secondaires, pour se reposer et respirer l'air pur et vivifiant de la mer sans se préoccuper des conditions de vie précaires de la population indigène.
Certes, et notamment par mauvais temps, la rue principale du "village", Grande Rue, avec sa multitude de commerçants Européens, était beaucoup plus animée; mais aux beaux jours, les promeneurs se retrouvaient sur le boulevard surplombant les voûtes et c'était un incessant va-et-vient entre l'hôtel de la Plage et l'école de pêche.
Le boulevard front de mer comprenait plusieurs lieux de détente et de récréation pour une clientèle exclusivement Européenne, des Bars, des Restaurants, des Buvettes et des Cabarets. Ils se rencontraient chez Martinez, chez Alexis ou à l'Oasis alors que leurs progénitures s'empiffraient de beignets délicieux en assaillant la baraque de Rosello ou s’amusaient sur l’esplanade de la plage ou un petit parc d’attraction était souvent en place. -Un seul établissement de cette partie de Castiglione était désertée par les concitoyens Castiglionnais: l'hôtel Miramar, plutôt réservé aux Algérois ou Blidéens de passage.
L’isolement, la misère et les souffrances de la population musulmanes se sont accentués durant la deuxième guerre mondiale lorsque l’armée coloniale d’occupation sous le nouveau régime militaire de Vichy allié aux Nazis a réquisitionné toute la production agricole et alimentaire des usines de conditionnement pour supporter l’effort de guerre et alimenter les troupes Françaises et Allemandes. L’autorité coloniale a appliqué le rationnement alimentaire à toute la population mais les colons se sont accaparés des stocks de réserves alimentaires et vestimentaires. Les ressources existantes étaient abondantes pour cette frange de la population Européenne qui n’a pas enduré la malnutrition, la pénurie, la rareté et l’indigence qu’a vécu la population indigène Bou-Ismailoise.
Malgré son isolation et sa marginalisation par les Européennes, la population musulmane Bou-Ismailoise n'échappaient pas à la mobilisation générale: lors de la première et seconde guerre mondiale ; beaucoup de jeunes indigènes furent appelés ou enrôlés de force pour combattre en métropole au front Nord de Verdun durant la première guerre et en Italie à Monte Cassino durant la second. Les conditions de vie des indigènes de Castiglione pendant la seconde guerre mondiale se déroulaient comme dans tous les villages du pays; se limitant à une survie quotidienne pour trouver la nourriture. Ce n’est qu’après l'invasion des Alliées, Américaines et Britanniques, que les conditions se sont améliorés pour les indigènes.
Durant la guerre de libération, la population autochtone ne pouvait franchir la ligne de démarcation qu’au levé du jour pour joindre leur lieu de travail dans les exploitations agricoles ou dans les nombreuses unités de conditionnement des fruits et légumes ou dans les nombreuses usines de salaison et de conserves de poissons appartenent à Carlé, Adrigna, Sarthon ou Ferrante.
Usine de salaison et conserverie de sardines appartenant à Carlé
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